Papa, ton honnêteté a servi à quoi ?

Publié le par Vitalp

Ce sont cinq enfants. La benjamine doit avoir vingt-cinq ans. Tous pères et mères de famille. Chacun, un emploi honorable qui lui permet, au Bénin, de gagner dignement sa vie et celle des siens. Tous ont le niveau maîtrise. L’on ne saurait donc, objectivement, reprocher à leurs parents de les avoir négligés. Ils en veulent pourtant à leurs parents, notamment au papa ; ils lui reprochent d’être à cheval sur ‘‘on ne sait quelle honnêteté’’ (sic), au nom de laquelle en tout cas il n’a pris aucun des trains à grande vitesse de l’enrichissement fulgurant.

Homme sec au physique et millimétré au moral. Cadre supérieur de la fonction publique et membre éminent de l’intelligentsia. Le genre d’homme qui ne vous remet pas seulement, aussitôt réclamé, l’argent que vous lui avez confié à garder pour vous il y a deux ans, mais qui vous le remet conservé intact et jauni au niveau des billets et de l’enveloppe qui les renfermait. Il n’y a pas touché. Ce n’était pas son argent. Pour lui d’ailleurs cet argent n’existait pas. Une honnêteté alarmante.
Bien entendu, il n’a pas fait fortune, au sens de biens meubles et immeubles à la pelle, de séjours réguliers outre-Atlantique pour des soins spécieux ou pour se faire arracher une dent – ‘‘ils vous soignent tellement bien là-bas’’ –, de dîners plantureux offerts aux amis qui savent apprécier les bonnes cuvées de France et de Navarre…Et pourtant, pendant les dix dernières années de sa carrière au service de l’Etat béninois, il a occupé un poste objectivement ‘‘juteux’’, où tout ‘‘bon’’ Béninois s’en met plein la poche sans tralala et sans gêne d’aucune sorte. Ceux qui se sont rageusement enrichis à ce poste avant lui et ceux qui y remettent en ce moment les pendules à l’heure après lui sont des gens très bien vus, dont certains vont à la messe tous les dimanches, et deux ou trois fois dans la semaine, certainement pour remercier sans discontinuer le bon Dieu de leur avoir ouvert les portes de la fortune. Pour sa part, notre homme est descendu de ce poste et a retrouvé pour sa retraite sa ‘‘vieille taco de plus de vingt ans d’âge’’, disent en 2010 ses enfants qui ne comprennent strictement rien à cette vision exiguë et amaigrissante du service de l’Etat, d’autant que ladite honnêteté de papa n’a rien amélioré, injustice, mensonge et corruption ayant même plus que jamais le vent en poupe. ‘‘Alors, Papa, franchement, ton honnêteté, elle a servi à quoi ?’’
‘‘A être honnête.’’, leur a-t-il répondu. Raide. Sec. Point final. Un peu trop sec, à l’image de son physique. Il aurait pu conférer un peu d’enflure à sa réponse en expliquant à ses enfants que lui, leur père, s’est refusé à être intimement coresponsable du mal-vivre de la cité aux écoles et hôpitaux sans rien qui fonctionne et sans eau potable, aux enfants qui n’iront jamais à l’école quand ils ne sont pas morts avant d’avoir cinq ans, aux routes éventrées et aux inondations annuelles. Leur expliquer, avec un peu de colère dans la voix, que lui, leur père, n’a pas voulu se sentir coresponsable de cette misère qui progresse et qui ne progresse pas vers la mer. Car eux, ses enfants, doivent savoir que les petits et grands fonctionnaires comme lui sont responsables de cette misère, parce que ce sont eux qui confessent après coup, satisfaits d’eux-mêmes : ‘‘J’ai pris ma part’’. Et ça veut dire presque toujours ‘‘j’ai tout pris’’. Pas étonnant qu’il ne reste plus rien pour la multitude. Oui, mes collègues mènent grand train de vie, leurs enfants hériteront de leurs villas et immeubles et comptes dans les paradis fiscaux, inch Allah ! Mais à quoi sert-il de vivre entre deux avions lorsque, à deux pas de l’aéroport Cardinal Bernardin Gantin, des pères de famille vivent de tomates qu’il font pousser sur le sable blanc au soleil ? Comprenez-moi bien quand je vous dis que la misère n’avance pas vers la mer. Dieu, en qui je crois modérément, ne punit personne. La misère que nous cultivons avance vers nous. Vous avez mon nom, l’éducation que je vous ai donnée, les situations honnêtes qu’elle vous a garanties. Contentez-vous-en, mon Dieu ! et marchez !
Un tel discours s’entend-il en 2010 par des jeunes gens pressés ? Une fois le dos tourné, ils se seraient esclaffés au motif que le ‘‘vieux est indécrottable’’. Le vieux a donc eu raison de leur assener, sec, que le bien se justifie par lui-même, l’honnêteté par elle-même.

(Par Roger Gbégnonvi)

Publié dans Chronique

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