Elections de 2011 : le Bénin court droit vers un nouveau cafouillage!

Publié le par Vitalp

S’il est au Bénin une échéance électorale qui ne devrait jamais prendre personne de court, c’est bien la présidentielle. Ceci pour la simple raison que la Constitution du 11 Décembre 1990 a enfermé la tenue du premier tour de ce scrutin dans un délai précis et inamovible de « trente (30) jours au moins et quarante (40) jours au plus avant la date d’expiration des pouvoirs du Président en exercice ». Autrement dit, depuis vingt ans, tout le peuple béninois est parfaitement conscient que le premier tour d’une élection présidentielle aura lieu au plus tard au début du mois de mars 2011. Et pourtant !

A moins de trois mois de cette échéance constitutionnelle, nous ne disposons encore ni du cadre légal, ni de la structure en charge de la préparation et de l’organisation de cette élection. Or, il n’est plus un secret pour personne que la mise en place tardive de la CENA a toujours constitué une cause, pour ne pas dire la principale cause du cafouillage observé dans l’organisation des élections au Bénin. En jetant un coup d’œil dans le rétroviseur, on se rend compte qu’en réalité la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le Bénin était prévisible depuis plusieurs mois. Seulement, ceux qui devaient intervenir plus tôt pour éviter la crise n’ont commencé à réagir qu’à présent que la cristallisation des positions a rendu leur mission difficile, voire à la limite impossible.
Car, le nœud gordien qu’il fallait dénouer très tôt, à défaut de l’avoir empêché de se constituer, reste et demeure le mauvais départ du processus de réalisation de la LEPI. De ce mauvais départ a découlé le bras-de-fer institutionnel permanent entre le Gouvernement et le Parlement, le Parlement et la Cour Constitutionnelle, la Mouvance et l’Opposition, … Mieux, la CPS/LEPI, dans sa volonté d’aller très vite dans la réalisation de cet instrument extrêmement sensible s’est lancé dans un marathon jalonné de violations massives de la loi 2009-10 du 13 Mai 2009. Et pour couronner le tout, l’arbitre qui a le pouvoir et le devoir de gérer toutes ces contradictions, donne (sans le vouloir ou sans le savoir) la très nette impression d’avoir choisi son camp. En fallait-il plus pour que tous les principaux acteurs, concentrés sur cette "bataille de la LEPI" en oublient que 2011 était déjà à nos portes et qu’il fallait trouver le moyen de soustraire cette préoccupation essentielle au débat houleux sur la LEPI ? Assurément non. Surtout que l’Institution de dernier recours a commis l’énorme maladresse de lier ces deux questions (LEPI et Elections de 2011) dans une fameuse décision qui peut se résumer en ce petit groupe de mots « LEPI ou rien pour les élections de 2011 ».

Le débat sur la LEPI
Lorsque, au lendemain des élections communales et locales de 2008, les Préfets qui relèvent dans le cas d’espèce de l’autorité du Ministre de la Décentralisation et donc du gouvernement, « s’abstiennent » d’installer certains conseils communaux sous prétexte que les populations s’y opposent, l’Assemblée Nationale dominée par l’Opposition décide d’aller « en grève ». Des manifestations et contre-manifestation s’organisent un peu partout dans le pays. Bref, la tension socio-politique est nettement perceptible.
C’est dans cette atmosphère délétère que le Chef de l’Etat décide de lancer via l’Uni­on Européenne l’actualisation de l’étude de faisabilité de la LEPI au Bénin. Le rapport qui en est issu est validé au CIC les 6 et 7 Décembre 2008 en l’absence des partis de l’Opposition qui, invités, ont choisi le boycott pour manifester leur mécontentement au Chef de l’Etat. Malgré ce boycott massif, une proposition de loi s’inspirant du rapport des experts est introduite au Parlement et son étude est programmée sous la pression de la société civile (celle regroupée dans FORS-LEPI). Malgré les réserves émises par les députés de l’Alliance Force Clé et les incohérences techniques soulevées par le député YAHOUEDEOU, la loi 2009-10 a été votée presque à l’unanimité par les parlementaires dont ceux du PRD, du PSD et du MADEP qui évitaient de déplaire à la RB dont l’un des membres, en l’occurrence l’Honorable Epiphane QUENUM a initié ladite loi.
Voilà dans quelles conditions confuses, expéditives et sans véritables débats de fond on a doté le pays d’une loi devant régir un domaine aussi sensible que celui des élections. Et c’est déjà à ce niveau qu’il faut aller rechercher les causes de ce que d’aucuns qualifient depuis quelques temps de « LEPI BAKO bâclée ». Car, en réalité, en dehors de certaines violations flagrantes de la loi, le Superviseur Général de la LEPI ne fait que profiter des silences, incohérences et contradictions de la loi pour orchestrer des passages en force et poursuivre contre vents et marées un processus qui est de toute évidence contestable et contesté.
De fait, comment peut-on comprendre que la loi 2009-10 n’a pas prévu, entre autres :

  l’obligation d’élaborer un chronogramme clair et précis qui permette de donner une visibilité et un suivi au processus ?

  une évaluation et une validation de chaque étape du processus par un organe composé de techniciens et d’acteurs socio-politiques autres que ceux en charge du processus ?

  des indicateurs précis qui permettent d’apprécier le chemin parcouru et de décider des éventuels réajustements avant de passer à autre chose ?

  un deuxième affichage après dédoublonnage et une validation définitive par un organe ad hoc autre que la CPS/LEPI ?
Je ne vais pas revenir sur d’autres points non moins importants que j’ai soulevés dans de précédentes chroniques et que d’autres ont également stigmatisé avant ou après moi.
La conséquence logique de tout ce qui précède est qu’à ce jour, contrairement à ce que veulent faire croire les acteurs de la réalisation de la LEPI soutenus par une certaine classe politique, la fin du processus n’est pas pour demain, au vu des imperfections passées qui restent à corriger et des actions qui restent à mener. Citons pêle-mêle :

  l’achèvement de l’enregistrement dans les aires opérationnelles du Centre et du Nord Bénin ;

  les corrections de la cartographie censitaire qui sont supposées avoir été faites, mais dont on n’a jamais publié la preuve ;

  la prise en compte des personnes non recensées lors du recensement porte-à-porte (RPP) pour une raison ou une autre et donc non enregistrées dans la base de données ;

  l’enrôlement des personnes recensées lors du RPP, mais non enrôlées lors de la phase de l’enregistrement biométrique pour diverses raisons (inondations, mauvais chargement des kits, oublis lors de la saisie, …) ;

  la création et la constitution du fichier national ;

  l’affichage pendant quinze (15) jours de la Liste Electorale Informatisée Provisoire (LEIP) ;

  le dédoublonnage ;

  l’extraction et la validation de la LEPI ;

  la confection et la délivrance des cartes d’électeurs sécurisées.
Face à cette situation, il convient de se demander si, depuis quelques mois, les acteurs de la vie politique et les organes en charge de la réalisation de la LEPI n’ont pas compris que les chances d’aboutissement de ce processus dans les délais légaux requis pour son utilisation lors des élections de 2011, étaient déjà largement compromises.
A l’instar d’autres acteurs politiques et de la société civile, nous avons eu beau tirer sur la sonnette d’alarme, la CPS et la MIRENA ont préféré entamer une course contre la montre, faisant croire que l’impossible était encore réalisable et empêchant du coup de prévoir assez tôt une solution alternative pour 2011.

Le piège de l’enfermement
En effet, il est certain que, si le Superviseur Général de la CPS/LEPI avait très tôt pris conscience de ses limites et informé qui de droit de l’impossibilité de finir sa mission dans les délais légaux, le législateur aurait disposé de plus de temps et de marge de manœuvre pour envisager une solution alternative acceptable dans le cadre des élections de 2011.
Au lieu de cela, l’Assemblée Nationale en est réduite aujourd’hui à proposer une liste ad’hoc dont les contours ne sont pas encore totalement cernés et qui, au surplus n’a même pas la certitude d’échapper à la censure de la Cour Constitutionnelle.
Car, cette dernière, faut-il le rappeler, a déjà pris le malheureux risque de rejeter par avance toute disposition de la loi électorale qui n’irait pas dans le sens de la LEPI ou de son amélioration.
De fait, en cassant jusqu’aux dispositions transitoires contenues dans la loi 2010-33 votée par les députés pour aller aux prochaines élections, la Cour a de facto fermé la porte à toute amélioration du processus d’établissement de la liste électorale qui ne serait pas la LEPI. Autrement dit, dans l’hypothèse hautement probable où la LEPI ne serait pas prête dans les délais légaux requis pour son utilisation en 2011, le législateur n’a plus le droit de prévoir une autre porte de sortie. Seulement, ce faisant, la Haute Juridiction semble oublier que, jusqu’à présent, il n’y a pas de vide juridique dans le domaine et qu’en empêchant ainsi le législateur de voter une nouvelle loi, elle risque de le contraindre à adopter le statu quo. Et qu’en fait de statu quo, c’est la loi 2007-25 du 23 Novembre 2007 portant règles générales pour les élections en République du Bénin qui sera remise en selle. Et que disent les dispositions transitoires de cette loi ?
« En attendant la réalisation du RENA et de la LEPI prévus aux articles 4 et 6 de la présente loi, l’établissement de la liste électorale et la délivrance des cartes d’électeurs se feront conformément aux dispositions ci-après : » (article 150). Les élections se dérouleront sur la base de listes électorales non informatisées…. (article 150.1) ». En termes clairs, en cas d’indisponibilité de la LEPI dans les délais légaux, on recourra à la liste manuelle.
Dans ce cas, on sera en droit de se demander : « Tout ça pour… ça ? ». Du fait donc de cet enfermement consécutif à un bras-de-fer, voire une démonstration de force aveugle et inutile dans laquelle s’est retrouvée entraîner une Cour Constitutionnelle qui n’a pas su prendre suffisamment de hauteur, voici la Haute Juridiction contrainte de choisir entre deux mauvaises solutions. Soit, elle reste constante dans ses décisions et casse à nouveau la loi portant règles générales mise en conformité par les députés. Dans ce cas, ces derniers vont très certainement opter pour le statu quo et on retourne au manuel. Soit, elle opère un revirement spectaculaire de jurisprudence et sa crédibilité en prend un sérieux coup.
Dans tous les cas, il faut souhaiter que les « Sages » se prononcent assez vite pour permettre le déblocage du processus électoral afin que l’échéance constitutionnelle soit respectée, même si le retard déjà accusé ne permet plus de garantir la bonne qualité des prochaines élections.
A Dieu ne plaise que cette Cour chargée de veiller au respect de la Constitution soit celle qui montre le chemin de sa violation flagrante. Si cela advenait, elle n’aurait rien à envier à une de ses homologues de la sous-région qui fait beaucoup jaser négativement depuis quelques temps. Daigne le Seigneur nous en préserver.

Clotaire OLIHIDE

Auteur de l’ouvrage « Elections Communales et Locales 2008 au Bénin : Autopsie d’un cafouillage organisé »
Tél : 95 85 69 13 / 97 54 24 86
Email : oliclot77@yahoo.fr    
     
Journal LE PROGRES  29/12/10  

Publié dans Politiques

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